Marianne Maury Kaufmann crédit photo Eytan Jan

Vider son sac … Roland Becker

Dans cette chronique, tous les cas de figures se sont présentés. Sauf un : pas de sac du tout. Le breton, Roland Becker inaugure le concept. Ce musicien, sonneur de bombarde, saxophoniste, compositeur-arrangeur, collecteur, conférencier, écrivain, – pas certaine que la liste s’arrête là- pratique à temps complet la notion de rien dans les poches, tout dans la tête. Pas de partitions, pas de pense-bête…

Une fois que j’ai écrit ma musique… elle est définie. Point final.

Reste tout de même la sacoche du saxophone, mais cela relève plus du bagage … que du sac proprement dit

Idem pour les conférences. Il y va les mains dans les poches.

J’ai trop suivi d’interventions de gens bac +10 qui lisaient leur livre, étaient dans leur bulle, et rien… mais le contact avec l’autre où est-il ? Évidemment avec ce genre d’approche, il se peut que j’aie des lacunes, mais au moins je parle aux gens…

Roland Becker a commencé la musique à 11 ans. A 20 ans, il en vivait déjà. Issu du conservatoire et d’études classiques, il est devenu au fil de la bombarde – sorte de hautbois à anche double qui remonte au temps des croisades – puis du saxo, un incontournable passionné par le patrimoine de la musique bretonne. ll la joue, la collecte, la raconte comme personne avec une faconde difficile à arrêter lorsqu’il est parti dans son élan. Ne lui parlez pas tradition ou folklore, lui s’attache à l’évolution au fil des siècles, et l’appréhende pour mieux composer son propre univers. Fou de collectage oral, ethnomusicologue, il parvient à retranscrire à travers chants et partitions un pan de l’histoire paysanne.

Pour son dernier livre, co-écrit comme pour bon nombre d’entre eux avec Laure Le Gurun, agrégée de sciences sociales, il est allé encore plus loin. Cette fois, on y parle sons… mais pas n’importe lesquels. Des sonorités typiques du Grand Ouest (incluant également Vendée et Poitou) :

Sonnerie de bassin.

Le sous-titre en dévoile un peu plus -quoique…- un intrigant rituel du solstice. (Stéphane Batigne éditeur).

Au XIXème siècle, en Bretagne, le solstice d’été était marqué, outre les feux de la Saint Jean, par un rituel pour le moins étonnant : les sonneries de bassin. De collines en collines, à la tombée de la nuit, montaient d’étranges ondes produites par les… bassines à confiture et autres récipients de cuisine posés sur des trépieds et que frottaient des mains humides, à l’aide de jonc. On pouvait entendre à plus d’un kilomètre à la ronde la vibration ainsi produite par cet objet du quotidien.

Entre les deux auteurs, les tâches sont bien définies, la complémentarité dure depuis 25 ans :

Et ce n’est pas si simple… de conjuguer deux écritures et surtout deux egos bien installés !

Lui est allé dans les campagnes recueillir les souvenirs d’enfance des anciens sur ces feux musicaux, les a enregistrés, en a retranscrit la technique et le mode, tandis que Laure l’écrivaine, s’est penché sur l’imaginaire réveillant la poésie des mythes et récits populaires.

Extrait :

Le son se joint à la nuit qui nous engloutit doucement. Le timbre très profond s’éraille dans des boucles d’aigus surnaturels, au-dessus de ce petit monde assemblé autour des bassins dorés, le visage soudain grave. L’eau vibrionne dans les bassins. Leur résonance se prolonge dans la nuit, bientôt relayée par les flammes du feu de la Saint-Jean, un peu plus loin. Le temps se suspend alors vraiment, quand le craquement du bûcher s’unit au comble du vrombissement, puis aux plaintes affaiblies des bassins, qui finissent par se taire.

Hors l’écriture, demeurent les concerts de jazz. Avec à chaque fois, voire plus qu’avant le trac au ventre… Roland et son saxo, Roland qui improvise et explique que non l’improvisation ne relève pas de la magie. Que cet exercice, contre toute attente ou idées reçues est finalement très structuré. Que l’on peut tout se permettre mais dans un cadre précis.

Ne rien laisser au hasard seul.  Comme un feu.  Saint Jean ou pas.

Nathalie

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