Vider son sac… Marie Sizun
Est-ce parce que la semaine dernière, le musicien Roland Becker vidait son sac en lieu et place, que la notion m’est restée à l’oreille ? En lisant Marie Sizun, je retrouve cette petite musique qui n’a rien de breton, mais qui fait toutefois chanter les mots, cette scansion si particulière. Marie le confirme d’ailleurs :
Je dis mes textes tout haut pour vérifier que le rythme est là. Qu’on l’entend.
Déjà, les titres de ses romans et recueils de nouvelles (tous aux éditions Arléa) ont en commun un univers poétique bien particulier : un léger déplacement, jeux croisés, un jour par la forêt, la maison-guerre, Vous n’avez pas vu Violette ? ou le dernier en date : les petits personnages. Nombreux ont été couronnés.
Celui qui me rend encore plus fière : le prix de l’Académie de Bretagne et des pays de Loire, en 2021 pour la Maison de Bretagne.
Marie cisèle.
Orfèvre, ces mots, elle les a transmis toute sa vie en France, ou dans les écoles européennes d’Allemagne jusqu’en Belgique en tant que prof agrégée de lettres, ne s’est mise à l’écriture du roman que sur le tard. Et puis en quinze ans, une production en accéléré. Depuis 2022, la vie l’a contrainte à une vilaine pause qui lui offre cependant une très grande distance par rapport au monde. Les priorités se sont déplacées. Au premier plan, celle qui a toujours pris toute la place : l’écriture et presque à égalité la peinture. Les deux sont nouées, liées, inextricables.
C’est le thème de son dernier ouvrage les petits personnages, ces oubliés dans un coin de toile, de Turner, Fragonard, Utrillo ou Monet, ces détails que l’on croit à première vue insignifiants mais qui en disent si long. Ces silhouettes de femme qui passent, se penchent à une fenêtre, se présentent à une barrière. Soudain, elles prennent la première place, deviennent l’essentiel. Le centre du tableau. Car Marie leur (ré)invente une vie, des sentiments, des regrets, peut-être aussi des espoirs.
L’écriture, plutôt l’après-midi, le matin ce n’est pas fait pour ça, compagne de vie qui la suit depuis toujours, également à travers son journal :
J’en ai des cahiers et des cahiers !
Clairefontaine à petits carreaux sur lequel elle rédige avec un stylo Waterman, toujours le même genre. Elle trimballe le dernier exemplaire partout avec elle. Au jour le jour. Sa façon de discuter avec soi-même, de décortiquer le roman en cours. Dialogue-monologue nécessaire pour prendre du recul.
Dans la parenthèse un peu particulière qu’elle traverse, un roman est en train de naître. Mais superstitieuse comme tant d’écrivains, elle ne s’attarde pas à donner trop de précisions. Avoue cependant qu’elle s’attaque à quelque chose de plus autobiographique et me répète :
C’est quand même très gênant. Je dis des chose que je n’ai jamais raconté sur mon enfance.
Et cela me fait rire…
Marie garde cette espèce de jolie innocence si touchante. Où se mêlent à la fois la petite fille prise en faute et l’ancienne prof qui juge – ah ce jugement qui remonte ! – de l’intérêt ou non de se livrer.
A parler, parler, nous en avons oublié son sac :
Oh, tu sais c’est une sorte de sac pour le voyage – elle qui en est tellement privée en ce moment- avec plein de poches à l’intérieur, des fermetures éclair, de couleur plus ou moins kaki, mais dans lequel je peux glisser la canne qui se plie en 4… parce que j’ai horreur de marcher avec une canne. Bref un truc pas présentable du tout… Ah ! je recommence avec le jugement. Ça me colle à la peau, malgré les années. On n’enseigne pas 45 sans que cela laisse quelques séquelles !
Moi, j’y vois l’enfance qui n’en finit pas de pointer son nez derrière la vitre.
Comme un de ses petits personnages.
Nathalie