Si on écrivait à plusieurs…

Je vous l’accorde cela peut paraître en totale contradiction avec le métier d’écrivain qui, par définition conjugue la solitude à tous les modes et tous les temps. Mais parce qu’il m’arrive d’avoir une soif de l’autre, de la vie derrière la fenêtre, du monde, bref lorsque cela me pèse, depuis des années j’ai recours à un remède infaillible et jubilatoire : l’écriture de concert.

C’est vrai, j’ai la chance d’avoir une amie romancière, Annie Degroote, éditée elle-aussi aux Presses de la Cité qui éprouvait cette même perte de motivation, voire de moral, et finissait par regarder son manuscrit de travers à force de face à face trop prolongé et peu productif… C’est ainsi que l’idée a germé, il y a presque dix ans : se retrouver au moins quatre fois par an pour une grande semaine à la campagne ou à la mer -il faut ce qu’il faut-.

Mais ne croyez pas que ce soit le prétexte à des vacances prolongées. Le programme est drastique, sinon il ne fonctionne pas. Du genre 8 à 10 heures d’écriture par jour. Histoire de rentabiliser le déplacement.

Combien de fois nous ne nous sommes pas dit :
– Si on répétait ça plus souvent, si nous nous retrouvions au moins un mois ensemble, nous serions capables d’écrire deux romans par an !

Le principe est tout simple et ne nécessite pas beaucoup d’investissement : une grande table large, thé et/ou café à volonté, petits gâteaux, bonbons, fruits secs pour tenir dans la durée et… deux ordinateurs face à face. On s’y met dès 8h/9h et on n’en décolle plus de la journée sauf pour la pause déjeuner.

Sachant que, pour reprendre l’expression si joliment troussée de l’écrivaine américaine Ann Lamott, la seule et unique différence entre les écrivains et le reste des mortels : c’est le cul sur la chaise. Autrement dit, ne pas bouger de son siège avant d’avoir terminé, sa phrase, sa page, son paragraphe, son chapitre. Et parfois – souvent- c’est tellement tentant de s’échapper, de se dire : puisque ça coince, pourquoi ne pas aller faire un tour ?

Loin de moi l’idée de vous empêcher d’aller vous aérer. Mais essayez, pour une fois de tenir – 10, 20, 30 minutes de plus… au début – sur votre foutue chaise, de ne pas en décoller. C’est là où écrire de concert prend tout son sens : vous n’allez tout de même partir courir le guilledou alors que votre binôme est, lui, toujours penché sur son écran ?

Studieux, concentré.

Certes, ce n’est pas une compétition, prenez-le comme un accompagnement idéal. Votre voisin de table souffre tout autant que vous. Si vous lui demandez :
– Tu n’as pas envie d’aller voir ailleurs ?
Il vous répondra immanquablement :
– Je ne rêve que de ça. Mais comme tu n’as pas bougé, je n’ai pas osé…

Donnez-vous une heure butoir : tenir jusqu’à l’heure du goûter ou celui de l’apéro… et n’en bougez plus.

J’écris toujours avec Annie, et j’ai proposé la même chose à Pascal Lamour… Autre auteur de mes amis. Mêmes paramètres : une semaine loin du monde, travail ininterrompu et… vue sur mer.

Résultat ? Un nombre incroyable de pages en quelques jours. L’émulation puissance 10. C’est là où j’ai vraiment testé l’expérience de se forcer. Pour une raison très simple : pas d’imprimante à disposition dans notre retraite, et j’ai l’habitude d’imprimer un chapitre surtout si celui- ci cloche. Et c’était le cas de mon chapitre 25. J’étais donc bien obligée de faire sans ; aussi, au lieu d’aller chercher en ville un imprimeur, de perdre une bonne demi-journée, le cul vissé à ma chaise, j’ai repris phrase par phrase les dix pages boiteuses. Marathon sans interruption. De temps en temps, je me tortillais. Avec l’envie d’aller jeter un œil dehors, pire, d’aller baguenauder dans les chemins creux.
Ben non.
Mettez -y un orgueil mal placé, un honneur désuet, un zeste de rivalité, ce que vous voulez mais comme Pascal tenait bon, pas question pour moi de craquer ! En fait j’ai su plus tard, qu’il s’était à peu près tenu le même discours intérieur.
A la fin de cette journée, une fois dépassé le sempiternel refrain :
J’y arriverai jamais, le chapitre était revu, corrigé.
En me forçant.
Délicieusement.

Mais écrire de concert ne sert pas qu’à vous retenir sur votre siège comme un sale gamin qui voudrait sortir de table au moment des épinards. Car à côté de Pascal, il y avait Pascale, elle aussi sur un projet d’écriture. Et Pascale avec un e sait écouter quand l’angoisse survole la table. Elle n’a pas son pareil pour dénouer les intrigues qui bouchonnent, font des embrouillamini de nœuds. Une, deux questions et hop on repart.
Entre auteurs, on sait de quoi on parle.

 

Exactement comme dans la chanson de Georges Brassens :

Quand un vicomte rencontre un autre vicomte
Qu’est-ce qu’ils se racontent ?
Des histoires de vicomtes…

On pourrait le décliner pour les auteurs.
Et finalement on n’est plus seul.

Nathalie

Annie Degroote
Des cendres sur nos cœurs
Presses de la Cité

Pascal Lamour
La parole du druide
Éditions Ouest-France

Ann Lamott
Bird by bird Some instructions on writing and life
Anchor books

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