Vider son sac… Rachel Kelly

Londres mi-mars. Dans un petit deli italien quelque part à Notting Hill. Oui, celui du coup de foudre. Manquent que Hugh Grant et Julia Roberts. Les magnolias sont en fleurs. Les bus double-étage rouges s’arrêtent à intervalles réguliers juste devant. Rachel arrive essoufflée, en manteau rose bonbon, dépose sa pompe à vélo sur la table :

– Oh! so sorry I’m late…

Mais non, elle n’est pas en retard. Deux minutes, ça ne compte pas… après 4 ans sans se voir. Le confinement, la fermeture des frontières, le Brexit…  La vie quoi ! Après un big hug, on reste longtemps dans les bras l’une de l’autre comme pour rattraper tout ce temps puis la conversation repart exactement là où nous l’avions laissée.

Au terme d’une demi-heure à bâtons rompus, entre deux chai latte, je lui explique vite fait la règle du jeu. Ni une ni deux, elle sort de son sac son dernier livre, rit :  j’en ai toujours un ou deux exemplaires pour les amis ! voilà le tien … On ne sait jamais ça peut servir !

Superbe couverture et titre extrait d’une chanson : You’ll never walk alone. Poems for life’s ups and down*.

La poésie pour consolation lorsque certains jours sont plus gris que d’autres. Lorsque la vie envoie quelques scuds.

Sur ce sujet, Rachel sait vraiment de quoi elle parle. Elle a traversé nombre de bas. Vraiment bas. La dépression lui est tombée dessus un jour et ne l’a plus lâchée pendant près d’un an et demi. Au point de ne pouvoir sortir de son lit. Avec deux bébés dans la chambre à côté. Ce qui lui a permis de surmonter ce premier épisode ? – car, quatre ans plus tard, il y en a eu un autre, tout aussi dévastateur et d’égale durée -… la poésie. Les poèmes qu’à son chevet, sa mère lui lisait chaque jour. Parfois plusieurs fois le même, parfois un simple extrait ou deux lignes. Avec une patience infinie. Poèmes choisis suivant l’humeur du jour et surtout la capacité de Rachel à les entendre sinon à les assimiler.

La poésie, trousse de secours inattendue qui lui a permis de sortir la tête hors de l’eau.

Elle l’a d’ailleurs raconté quelques années plus tard dans son premier livre : Black Rainbow **. Best-seller en Angleterre. Sa souffrance servait enfin aux autres. Elle y partageait aussi les poèmes, ses alliés, que lui avait lus sa mère.

Pour le nouveau livre, elle ne se raconte plus, laisse la part belle aux poèmes qui guérissent. En prose, en vers, en chansons pour accompagner les jours avec et les jours sans. Issus des plus grands noms de la littérature anglo-saxonne : Keats, Shelley, les sœurs Brontë, Emily Dickinson, Carver… et tant d’autres qui apportent des réponses, un remède à la souffrance que l’on croit trop souvent orpheline.

Des mots – et quels mots !- pour soulager les maux

Si cet ouvrage est un hommage à tous ces poètes qui l’ont tant aidée, il est surtout dédié à sa maman. Car un jour, il y a cinq ans, les rôles se sont inversés. Au tour de Rachel de dire les poèmes à son chevet. En salle de chimio.

– Sauf que le plus souvent, sourit-elle, c’est elle qui me les récitait par cœur. Elle en connaissait tant ! Ce sont ces séances, hors du monde, qui nous ont permis d’exprimer le mieux notre tristesse, de traduire aussi notre joie d’être ensemble, de dépasser la douleur de la séparation que nous savions toutes deux inéluctable. Au-delà de l’absence, la poésie continue de nous relier.

Souvent cette poésie nous a accompagné le temps de notre enfance devant une estrade à écorcher Rimbaud ou Verlaine, puis elle est sortie de nos vies. Il suffirait de la convoquer à nouveau, de lui offrir un rôle qu’on ne lui soupçonnait pas. Celui de consolatrice. Nul doute qu’en relisant Hugo, Villon, du Bellay, Mallarmé, Valéry, Racine, Ruteboeuf, Lamartine nous y trouverions une source d’apaisement.

Posologie recommandée : juste quelques vers par jour.

Nathalie

*Tu ne marcheras jamais seul. Poèmes pour les hauts et les bas de la vie.

 **Sombre arc-en-ciel.  Edition française : la nuit n’en finit pas aux Éditions Larousse.

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