Vider son sac… Annie Degroote
Avec Annie, ce n’est pas pareil. L’exercice du lundi prend obligatoirement une autre forme mais cela ne le facilite pas pour autant. Nous nous connaissons depuis si longtemps… En 18 ans d’amitié, on imagine aisément le nombre de fois où nous avons vidé notre sac ! Nous avons traversé sensiblement les mêmes affres d’autrices, avons d’ailleurs de concert détesté ce nouveau terme qui décrivait notre situation administrative et nous déstabilisait. Combien de fois nous sommes-nous retrouvées devant nos ordinateurs respectifs pour écrire nos romans ?
Oui, l’écriture de concert dont je parle si souvent, c’est toujours avec Annie.
Le jour J pour cet exercice, nous aurions pu le faire au salon d’Argentan. L’une à côté de l’autre entre deux lectrices ou lecteurs qui nous réclamaient une dédicace. Je ne sais pas pourquoi, j’ai préféré attendre. Le soir devant le feu, une fois rentrées. Un peu épuisées. Je ne raconterai pas ce que nous avons bu, nous étions juste hors du temps à refaire le monde. L’idée est apparue comme ça, en recherchant une scène du théâtre d’Alfred de Musset. Car il y a quelques années, Annie la romancière était comédienne. Un joli palmarès à son actif : de Pirandello à Molière, de la série Dallas où elle jouait une hôtesse de l’air qui renseignait Bobby Ewing à Roissy – la demi-journée la mieux payée de sa vie mais aussi le plus gros trac, tant il lui semblait porter sur les épaules l’honneur des Français – au Grand Valet de Per Jakez Hélias pour la télévision. Et puis l’écriture l’a attrapée. Déjà, entre deux scènes, il lui arrivait de jeter quelques notes sur le papier. Comme d’autres tricotent pour passer le temps dans la coulisse. Elle a envoyé son premier roman/scénario à Jacques Duquesne, auteur de Maria Vandamme et grand patron de presse à l’époque qui lui a fait parvenir deux pages de conseils et plus tard la préface de son livre. Le début d’une aventure qui n’a plus cessé.
Depuis, le Nord dont elle parle mieux que personne, elle y est née, la reconnaît comme une de ses grandes romancières.
Mais ce n’est pas de cela dont nous avons parlé ce soir d’après salon. Plutôt de son art de comédienne. J’avais envie de savoir, naïvement sans doute, comment on entre dans un personnage. Comment on passe de soi à l’autre. Au-delà de toute philosophie. Elle a ouvert le théâtre de Marivaux sur la scène 1 de l’acte 1 de la double inconstance. Au départ, j’avais apporté Musset, mais elle l’a jugé peu en accord avec l’atmosphère au coin du feu. Elle a tourné une page, peut-être pris une respiration, s’est penchée sur le texte et quand elle a relevé la tête, elle était Silvia :
Cependant, je ne veux point avoir de raison ; et quand vous recommenceriez cinquante-fois votre cependant, je n’en veux point avoir : que ferez-vous là ? (…) Je ne veux qu’être fâchée, vous haïr tous autant que vous êtes, jusqu’à tant que j’ai vu Arlequin, dont on m’a séparée… Voilà mes petites résolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n’avez qu’à me prêcher d’être plus raisonnable, cela sera bientôt fait.
Une autre.
Et tout aussi soudainement la soirée s’est transformée. Sur le canapé rouge, avec la lumière qui lui faisait une étrange halo, j’ai compris ce que sa vie de comédienne avait dû lui apporter. Un élan. Une vibration. Je lui ai demandé après un long temps de silence, car tout de même j’avais été bluffée par son jeu, si elle regrettait cette période. Elle a cité sa maman :
Les regrets sont d’effroyables pertes d’énergie.
Et nous en sommes venues tout naturellement à son sac. Le lien entre les regrets et le minuscule sac faussement banane qu’il lui fallait enfin vider ? Au milieu du fatras, incroyable ce qu’un si petit contenant pouvait receler, de ses incroyables notes/ gribouillis pour son prochain roman, Annie a sorti une pile de… grandes photos, même pas écornées, malgré l’exiguïté.
Entre autres, des photos de sa maman et des non-regrets.
Nathalie