Vider son sac… Bernard Berrou
Où l’on apprend (une fois de plus) qu’il n’est pas bon de se fier aux apparences… Cette rubrique semblait avoir amorcé sa vitesse de croisière. Tranquillement. Jusque là, les auteurs amis vidaient leur sac de façon « normale ». Et puis… Bernard Berrou ! Avec son petit côté Chateaubriand égaré sur les chemins de la baie d’Audierne, un abord sage, un rien distant, certainement en retrait, voire timide, on aurait pu imaginer une version tout aussi assagie de l’exercice. C’était sans compter le recul sur les choses, sur la vie, du monsieur. Il a trop roulé sa bosse pour ne pas nous dérouter.
D’abord c’est un grand marcheur donc pas question de s’encombrer, ou alors uniquement dans la tête. Retient-il de mémoire les paysages qu’il décrit si joliment ? Il faut avoir lu « la Haute Route », « une saison en Irlande », (sa seconde patrie à laquelle il a consacré tant de pages), ou encore « un passager dans la baie », pour ne plus jamais regarder ces dits-paysages de la même façon. Mais c’est sans doute que son regard a été apprivoisé dès sa jeunesse (il avait alors 17 ans) par un certain monsieur… Jean Bazaine. Le grand peintre qui disait tout simplement : « je m’efforce chaque matin de naître ». Un bel apprentissage qui colore une vie entière. Comment ensuite ne pas voir la vie autrement ? Comment ne pas offrir également au maître de ses jeunes années des pages émouvantes : « au pays de Bazaine » paru aux éditions Diabase ?
Bernard Berrou, c’est donc « un certain regard » qui a reçu en 2018 le prix Bretagne pour l’ensemble de son oeuvre.
Avant de vous dévoiler ce qu’il cache dans son sac irlandais (of course) : prenons le temps de nous attarder sur ses lignes de « la Haute Route » rééditée chez Géorama, cette année.
« Cela faisait des années que je remettais mon projet de visiter la Corse et je croyais bien que je l’avais définitivement abandonné, me contentant d’entretenir un cinéma intime drapé dans un décor méditerranéen, c’est-à-dire ni plus ni moins que les sempiternelles images et autres clichés sentimentaux que cette île colporte : les calanches, Bonifacio, le maquis, Napoléon, Paoli, les villages perdus dans les montagnes, les chants patriotiques… (…)
Le crépuscule semblait monter du sol comme une légère fumée quand nous atteignîmes la Côte d’Azur à la hauteur de Cannes. Bientôt tous les tons se confondirent au-dessus de la Méditerranée, et puis une quantité de petits nuages d’un rose éblouissant flottaient, sereins, dans le ciel du soir juste avant que nous aperçûmes le Cap corse…
Une demi-heure plus tard sur la place saint Nicolas, j’entendis pour la première fois le rythme gracieux et chantant de l’accent insulaire : « Vous êtes sur la plus grande place d’Europe après la place Rouge » m’affirma ce commerçant qui ressemblait trait pour trait à Tino Rossi. Dix minutes plus tard, sur cette même place, un barman ombrageux s’étonnait que je ne connaisse pas une eau minérale du cru, réputée selon lui dans le monde entier pour ses vertus astringentes. Me souvenant des aventures d’Astérix en Corse, je fis mine d’acquiescer pour ne pas heurter la susceptibilité ancestrale d’un peuple imprévisible qui demeure le casse-tête de nos ministres de l’intérieur depuis que la Constituante nomma Paoli gouverneur de l’île en 1790…. »
Aventures autant poétiques que laborieuses sur le dur chemin du GR20. Avec l’humour qui affleure.
Car notre auteur le manie en douce, et histoire de nous mener sur une fausse piste, pose la question tout à trac :
« Tu sais ce qu’un bigouden (oups j’avais oublié son lieu de naissance, j’aurais dû me méfier l’apparence irlandaise du sac noir n’était que pour tromper l’ennemi) met dans son sac en général ? On connaît la réputation « d’oursins dans les poches » des habitants du lieu… mais je donne ma langue au chat.
Réponse : « Ben, RIEN… on aurait trop peur de devoir payer quoi que ce soit «
Donc dans le sac noir de notre marcheur, il n’y a rien. Un vide abyssal. Chez Bernard Berrou, bigouden irlandais, tout est dans la tête… nul besoin de possessions terrestres ?
A bientôt pour un autre sac tout aussi étonnant : celui d’Henry Le Bal, poète, écrivain, dramaturge…
Nathalie