Le mouchard sur le toit

Ecrire un livre à quatre mains, cela s’est déjà fait. A 40 … c’est nettement moins courant ! C’est pourtant le défi lancé à 20 auteurs bretons par le site Paris Breizh Média. Une autre façon d’occuper les longues heures du confinement. Et Nono, le caricaturiste fameux et ami s’ est occupé d’illustrer le polar baptisé : le mouchard sur le toit.
Jean Failler, auteur de la série des Mary Lester (éditions Palémon) a lancé la machine, posé le début de l’intrigue et le chapitre 1, Hervé Bellec (dernier roman en date Lulu tout simplement aux éditions des Presses de la Cité) était en charge du chapitre 2. A moi de continuer avec le chapitre 3… et ainsi de suite.

Pour connaître tous les épisodes du feuilleton, rendez-vous sur le site :

Chapitre 3

Cela faisait un moment que Fanch le Dantec était au courant du surnom dont on l’avait affublé dans le coin : Gestapo. Du temps où il était encore sensible -depuis, heureusement, ça c’était amélioré- il en avait même chopé un ulcère, qu’il avait soigné comme il pouvait. A coup d’emplâtres. Puis, il avait fini par en prendre son parti. Il s’était installé dans ce bourg perdu, aux confins du Finistère pour sa retraite. Le paradis au bout de la terre. Il avait assez vite déchanté jusqu’à regretter son passé de citadin dans la police. Enfin la police … c’est ce qu’il laissait croire, pour tenir les gens du patelin à carreaux. Toute sa carrière, il l’avait faite comme employé assermenté aux contraventions. Il aimait bien se souvenir de ses débuts, quand il glissait timidement les PV entre pare-brise et essuie-glace … peu à peu, une sorte de fièvre l’avait pris. Il en posait partout, tout le temps, explosait les quotas. Mais là où il eût espéré trouver encouragements et félicitations pour ce zèle si évident, il ne se trouva pas un seul conducteur pour admirer sa conscience professionnelle, son souci du travail bien fait, son indéniable sérieux. Au lieu de cela, Gestapo ne récoltait qu’insultes, rebuffades, bras d’honneur. Comme ça que la haine du monde lui était venue : on ne met pas de contredanses à la mère de famille, les bras chargés de paquets, qui a juste dépassé de quelques minutes son temps de parking, la veille de Noël, si on aime les autres.

– S’il vous plaît, monsieur l’agent, vous n’allez tout de même pas me mettre cette amende, c’est Noël ! Vous n’avez que ça à faire vraiment ? Je vous plains. Vous devez être bien seul pour agir ainsi.

La pleurnicherie se terminait toujours par un :

– Connard ! bien senti.

Qu’il avalait sans moufter. Elle pouvait bien gueuler la petite dame, il s’en foutait, c’est lui qui avait le pouvoir.

L’hiver en ville, Gestapo souffrait. Il n’avait pas les coudées franches, ne pouvait verbaliser autant qu’il eût aimé, passait son temps à essayer de piéger les natifs qui se croyaient intouchables, se garaient n’importe comment, le narguaient. Il eût aimé jouir du don d’ubiquité, surveiller à la fois toutes les aires de stationnements, les rues, les boulevards, les impasses. Pour y aller de son carnet à souches. Mais rien à faire, l’hiver, était sa saison creuse. Heureusement le carême s’achevait à peine que revenait la saison des touristes et il exultait. S’en donnait à cœur joie, déposait à tour de bras, sa moisson de papillons contre les pare-brise. Jolie l’enfilade des quais avec cette floraison de billets doux. Il avait son poste d’observation : planqué derrière les marronniers face au jardin de l’évêché. Ne faisait ni une ni deux, à la moindre minute dépassée, hop une prune. Et si les touristes l’incendiaient, il n’en avait cure. On ne les reverrait pas de sitôt.

Après trente ans de bons et loyaux services, il quitta la ville et se chercha vite une occupation, pas question de vivre une retraite oisive. L’idée lui vint presque naturellement : reprendre ses tournées d’autrefois sous une forme un peu différente. Plus de P.V. mais une surveillance, plus insidieuse, plus souterraine tout en traquant toujours ses congénères, en leur volant leurs secrets, en repérant leurs failles. Dans le petit village apparemment tranquille, il comprit vite qu’il avait trouvé un épatant terrain de chasse. Autrement plus satisfaisant que les délits de stationnement d’autrefois. L’apothéose de sa carrière professionnelle. Minutieux comme il l’était, il peaufina sa routine, en fit un modèle du genre. Levé à l’aube, dehors avant le petit déjeuner pour dégourdir les pattes du chien et les siennes par la même occasion, pour une première inspection du côté de la mairie et de la place de l’église ; trop tôt pour vraiment glaner quelque chose de concret, -les employés communaux n’étaient pas de grands matinaux- mais du côté de l’église, quelques ouailles, les plus bigotes à la langue fourchue ; il suffisait de s’approcher et de cueillir au passage un ou deux commérages. Ces dames étaient heureuses d’avoir une oreille attentive de si bon matin. Il les abordait avec déférence : –

– Beau temps ce matin ! Vous ne faites que l’embellir.

C’était un peu gros comme ficelle, mais cela marchait à tout coup. Les pauvres vieilles, le plus souvent esseulées, que l’on n’avait jamais remarquées, revivaient, avaient tôt fait de s’épancher, et pour peu que Gestapo fasse l’innocent, elles se faisaient un malin plaisir de le renseigner :

– Comment vous n’avez pas su que Untel est parti avec la caisse… a trompé sa femme avec la boulangère… ne déclare pas ses impôts…

La liste des ragots était interminable. Une mine d’or.

Il la complétait, l’étoffait plus tard dans la matinée, en sortant cette fois le grand jeu. Carnet de notes et jumelles. Exercice rôdé. Fou ce que l’on peut découvrir quand on reste posté un bon bout de temps au même endroit. Sans se faire remarquer. Fou ce que les gens peuvent cacher. Inimaginable même à les voir si propres sur eux, si courtois par devant. Parce que par derrière, ce n’était que coucheries, trahisons, couteaux dans le dos, vieilles rancoeurs, jalousies, héritages détournés, faux… ah ! il était beau le monde ! Et pourtant toujours prêt à vous donner des leçons, à se poser en parangon de vertu, à se pavaner sur le parvis de l’église le dimanche.

A le faire passer lui, Gestapo pour le mouchard du patelin. Tous ces bien-pensants, si sûrs d’eux. Bientôt ils dégringoleraient de leur piédestal et ce jour-là Gestapo serait aux premières loges pour applaudir la chute.

Il les tenait.

Un petit côté grisant de leur filer les jetons, de se faire mystérieux. Il en connaissait un rayon sur la plupart d’entre eux, avait matière à démolir plus d’une famille. Pour le moment, il la jouait soft : une ou deux petites lettres, tapées sur sa vieille Remington, envoyées vite fait à qui de droit. Simple entraînement pour se chauffer un peu. Goutte d’eau par rapport à ce qu’il préparait en douce depuis des années. Un coup de Trafalgar qu’il leur mijotait. Aux petits oignons. Il en bichait d’avance.

Son plan se peaufinait, doucement. Prendre son temps avant le bouquet final.

Il n’y avait qu’un hic. Le talon d’Achille de Gestapo. Et ce talon, c’était Germaine. Il en rêvait la nuit. Plonger la tête entre ses seins. La culbuter devant la cheminée. Bon, y ‘avait la vieille avec qui elle vivait. Mais la vieille ne tiendrait pas des années et Gestapo échafaudait des plans sur la comète pour l’envoyer ad patres le plus élégamment du monde. Surtout le plus discrètement possible. Pour l’inspiration, il avait l’embarras du choix : les exemples de vieux, fringants le matin, passés de vie à trépas l’après-midi « au profit » de familles tout à fait honorables et soudain enrichies, ne manquaient pas dans le bourg. Familles que l’on retrouvait larmoyantes, en voiles de crêpe noir le lendemain mais sablant le champagne, le caveau à peine refermé. Gestapo le savait, il les avait vues, de ses yeux, vues. Jumelles et carnet de notes.

Donc la vieille n’était qu’un obstacle mineur.

Si Gestapo n’avait pas encore déclaré sa flamme à Germaine, il ne doutait aucunement de la réciprocité et construisait pierre à pierre, jour après jour, leur avenir : ils seraient riches, laisseraient tomber la ferme, voyageraient vers des contrées ensoleillées, se tiendraient la main sur fond de coucher de soleil. Ils vivraient.

Enfin.

Germaine était l’âme-sœur de Gestapo.

Alors ce qu’il observait depuis le matin même chez sa dulcinée commençait à l’inquiéter sérieusement. Il y avait un homme chez Germaine. Et la tenue dans laquelle il se pavanait, une simple serviette autour des reins – Gestapo l’avait en ligne de mire du haut de son échelle- était la preuve criante que ce n’était pas que pour lui conter joliment fleurette. Avait-il franchi un pas décisif ? Avait-il abusé de sa Germaine, se croyait -il en terrain conquis ? Il était le grain de sable dans sa stratégie minutieuse, risquant de tout faire capoter, de biffer d’un trait ce que Gestapo avait mis des années à mettre au point.

Il fallait qu’il en ait le cœur net. Le doute lui rongeait le sang : sa Germaine dans les pattes d’un inconnu ? Impensable. Sans compter que l’échelle brinquebalait et qu’avec le vent qui recommençait à souffler, le cliquetis métallique résonnait jusqu’au bout de la ferme.

Gestapo rempocha ses jumelles, coinça son stylo entre les dents, le carnet de notes dans la poche du treillis pour redescendre de son perchoir. Il venait de décider de frapper un grand coup. Au sens propre si besoin, même s’il n’était pas trop porté pour la castagne, son gabarit ne le lui permettait pas.

Mais là, il y avait urgence

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